Blés, moulin, bovins : la ferme d’Égreville à l’équilibre
Dans cette exploitation seine-et-marnaise, la production de farine en quantité modeste s’intègre dans un cycle biologique cohérent. Plongée dans le fonctionnement d’une ferme à l’activité diversifiée où la meunerie participe à l’équilibre économique, agronomique et écologique.
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La ferme d’Égreville, en Seine-et-Marne, produit depuis trois ans une farine rare (25 tonnes/an) et appréciée : c’est avec elle que la boulangerie Graine(s), à Paris, a fabriqué la meule longue fermentation qui a décroché le premier prix au concours national du pain bio en 2021. Cette ferme familiale a longtemps été une exploitation typique de la Brie, cultivant blé, betteraves, orge et colza. Puis est venue « l’envie de produire autrement », raconte Mathieu Coupey, qui représente la quatrième génération d’agriculteurs.
« Il y a quinze ans, mon père a arrêté la betterave car cette culture demande beaucoup de traitements phytos. Puis il a arrêté le labour pour préserver la vie du sol. En 2015, il s’est converti au bio et a réfléchi à diversifier ses productions. » Le jeune agriculteur, installé en 2017 sur un élevage de poules pondeuses en plein air, s’est associé à son père.
« Ensemble, nous exploitons 230 hectares, ce qui n’est pas très gros pour le secteur, où les fermes atteignent maintenant 500 à 1 000 hectares, souligne-t-il. La ferme n’a pas grandi depuis le remembrement des années soixante–soixante-dix. Mais grâce à notre activité diversifiée, nous avons embauché deux salariés : nous sommes quatre à temps plein, alors qu’une personne suffirait pour 230 hectares de céréales. » Le développement de la meunerie a demandé un investissement de 50 000 €, dont 25 000 € pour le moulin.
La diversification des productions répond à un besoin économique : il s’agit de répartir les risques et de trouver des marchés à haute valeur ajoutée. C’est aussi un impératif agronomique : en agriculture biologique, tout repose sur les interactions naturelles entre sols, plantes et animaux.
Un petit cheptel bovin (huit mères et leurs petits, soit trente bêtes) a été réintroduit dans la ferme. Leur présence détonne dans cette région de grandes cultures. Elle est pourtant logique, et pas seulement parce que la vente de viande apporte des revenus complémentaires. « Les animaux améliorent la cohérence de l’ensemble, souligne Mathieu Coupey. Ils apportent du fumier, consomment des cultures que l’on a introduites pour des raisons agronomiques et mangent le son issu du moulin. Ils font aussi vivre le paysage, créent de l’emploi et valorisent le patrimoine en occupant nos vieux bâtiments agricoles inadaptés au matériel moderne. » Entre les poules, les bovins et quelques chevaux pris en pension, les engrais “maison” couvrent 100 % des besoins de la ferme.
Depuis la conversion bio, plus d’une douzaine de cultures se partagent l’assolement. Selon les années, le blé ne couvre donc que 50 à 70 ha : il faut laisser de la place aux autres cultures pour la bonne marche de l’exploitation. « Par exemple, la luzerne nettoie les sols et nourrit en azote le blé suivant », explique l’agriculteur.
En plus des différents types de blé (tendres, durs, anciens, khorasan), Mathieu Coupey produit des lentilles, pois chiches, féveroles, pois fourragers, de la luzerne, de l’orge, du chanvre… Maïs et soja ont été testés puis abandonnés. Petit épeautre, grand épeautre, seigle et sarrasin ont été produits jusqu’à l’an dernier, mais le marché n’est plus demandeur.
Sept variétés de blé
En blé, les rendements ont été divisés par deux après la conversion bio : de 90 quintaux/ha à 40 ou 50, selon l’année et la parcelle. Les critères de choix des variétés ont aussi évolué, avec une attention particulière portée à la teneur en protéines. Très attachés à la notion d’autonomie, les agriculteurs reproduisent eux-mêmes la moitié de leurs semences (le reste est acheté à une coopérative).
«Sept variétés de blé sont cultivées cette année sur 50 hectares, reprend Mathieu Coupey. Toutes sont semées pures pour éviter des problèmes de maturité à la récolte. Je fais mon mélange après, en en assemblant généralement quatre. D’un lot à l’autre, les caractéristiques peuvent varier. Je préviens toujours les boulangers avant de changer de cellule. La première fois, ils m’avaient demandé une transition progressive en mélangeant vingt-cinq pour cent du nouveau lot à l’ancien puis en augmentant progressivement la proportion de nouvelle farine. Mais cela les obligeait à se réadapter plusieurs fois. Un seul changement radical est finalement plus simple à gérer.»
La boulangerie Graine(s) à Paris est son principal client depuis la mise en service du moulin en 2020. Les livraisons sont effectuées par Croix Rouge insertion, qui emploie des personnes en réinsertion sociale. Ce qui n’a pas empêché l’agriculteur de rendre visite au boulanger sur son lieu de travail, et vice versa.
En trois ans, la ferme d’Égreville n’a pas touché à ses prix. Elle vend aussi un peu de farine à des particuliers mais ce débouché reste minoritaire, car l’ensachage manuel est chronophage. Et pour l’agriculteur-meunier, «c’est un plaisir et une fierté de fournir de vrais artisans du pain ! »
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